Secrets de défense sanitaire …

Nous n’allons pas bouder notre évidente satisfaction que l’ancienne ministre de la santé (après n’avoir pas déféré à une première convocation en juillet) ait à répondre pour de bon devant la Justice, non pas d’erreurs d’appréciation, troubles de la jugeote, voire même d’incompétence (telle ne saurait à raison être la mission de l’institution judiciaire), mais bien de fautes graves, de manquements caractérisés à ses obligations dans la gestion de la crise du Covid-19, de comportements donc pénalement répréhensibles et (ce qui n’est pas rien) clairement reconnaissables comme tels par son auteur elle-même à l’époque des faits.

Notre satisfaction véritable, et nos espoirs, vont toutefois beaucoup plus loin.

Certes Agnès Buzyn a été hier mise en examen pour « mise en danger de la vie d’autrui », et par ailleurs placée sous le statut de témoin assisté pour les soupçons d’« abstention de combattre un sinistre », ce qui peut augurer d’une seconde mise en examen.

Il reste qu’il appartient maintenant à la justice d’instruire, ce qui veut dire établir les faits et les caractériser, donc bien entendu instruire à charge et à décharge et notamment donner au sujet le droit de s’exprimer et de faire valoir sa défense.

Nous sommes donc partis pour un long feuilleton, que les échéances électorales ne vont pas simplifier, et qui sera d’autant plus complexe qu’à l’ancienne ministre vont venir s’ajouter l’actuel ministre de la santé M. Véran et l’ancien premier ministre M. Philippe, deux poissons d’un autre calibre et largement plus remuants, dont la défense risque d’être infiniment plus politique donc agressive que larmoyante.

Laissons donc évoluer cette procédure, et selon la formule éculée en vogue chez les politicards à propos de la mise en examen de leurs collègues (ou de la leur propre) : « que la justice fasse son travail ».

Cela dit, nos questionnements, nos revendications, nos espoirs donc, en ces temps devenus judiciaires, sont tout autres car l’audition de Mme Buzyn fut l’occasion de soupeser le poids du secret très tôt organisé par l’Etat, dans une gestion du Covid-19 par ce seul fait plus que suspecte.

1. En premier lieu et ce n’est plus un secret (en voilà au moins un de purgé !) la justice se retrouve directement confrontée au choix par le Président de la République de gérer la crise du Covid via le fameux « Conseil de Défense Sanitaire » modelé pour l’occasion.

Non seulement cette procédure, à nos yeux parfaitement contraire à l’esprit des textes (sinon même à leur lettre), a été volontairement mise en place pour (en une matière qui ne le réclamait nullement) court-circuiter le Conseil des Ministres et renforcer arbitrairement les pouvoirs déjà extravagants de l’homme seul.

Mais bien davantage, ce Conseil tient tellement plus largement du « secret défense » que du « conseil sanitaire », que ses décisions sont classifiées et exigent donc à chaque besoin de document, que la justice sollicite la levée du secret auprès de la commission du secret de la défense nationale !

Gérer une épidémie par le secret, et en dissimuler ainsi les agissements, contre les institutions judiciaires de la République, au motif donc que la vérité pourrait « constituer une cible majeure ……. pour des individus cherchant à déstabiliser l’Etat …. » laisse incrédule ! https://www.defense.gouv.fr/sga/le-sga-en-action/droit-et-defense/secret-defense/secret-defense

Quels sont donc les secrets par essence inavouables dont la révélation « déstabiliserait l’État » ?

Et qui a conseillé le chef de l’Etat au moment de prendre froidement il y a 18 mois la décision de dissimuler d’avance la gestion de l’épidémie ?

2. Mais il y a plus encore : on sait que plusieurs parmi les conseillers « santé » de l’Élysée ont été entendus.  Or il appert que deux au moins de ces salariés de l’État ont refusé de répondre à nombre de questions, invoquant de ce chef l’immunité présidentielle.

Comme ces subordonnés ne peuvent avoir pris d’eux-mêmes l’initiative d’invoquer l’immunité qui bénéficie au président (et à lui seul), voilà qui signifie que ces salariés sont allés prendre leurs instructions en haut lieu et en sont ressortis avec la consigne de refuser de répondre et d’alléguer pour ce faire une prétendue immunité en quelque sorte étendue au petit personnel !

Evidemment cette pratique totalement illégale n’a pas le moindre fondement, mais que l’Élysée tente de couvrir de l’immunité de son chef, les actes et témoignages de collaborateurs en dit long sur l’hégémonie grandissante du pouvoir exécutif qui ferait donc ainsi du palais présidentiel une forteresse inexpugnable, hors d’atteinte de tout contrôle !

Même Louis XIV, dont les convictions démocratiques balbutiantes n’ont pas laissé de souvenirs impérissables, précisait : « C’est parce que je peux tout que je ne peux pas tout me permettre ».