Un fait surprenant pourrait bien être passé (relativement) inaperçu dans le landerneau journalistico-politique : nous sommes dans notre bonne vieille France depuis 1958 pour la toute première fois dans la situation, absolument inédite, où aucune des deux têtes de l’exécutif ne témoigne du moindre sens politique.
Nous admettrons comme pourvu de « sens politique » le personnage public qui confronté à des événements complexes ou imprévus, sait simultanément, et analyser la difficulté, et sentir les humeurs de la nation pour la guider en bonne harmonie vers une issue concevable et cohérente.
On le conçoit aisément ce fameux flair, voire ce « pif », est absolument indispensable par le simple fait que les efforts demandés aux français ne seront accomplis et efficaces que s’ils sont limpides, compréhensibles, et supportables.
Si l’on cherche dans le passé, à chaque fois le manque de flair politique de l’un (souvent Matignon mais pas toujours …) était, au moins, compensé par le sens politique de l’autre.
Il n’est que de se souvenir de quelques tandems boiteux : Mitterrand-Cresson, Chirac-Villepin ou, plus près de nous Macron-Philippe. Le fossé fut tel d’ailleurs que toujours les destins divergèrent sans anicroche notable : le peuple ne se trompe pas et jamais n’associe dans sa rancune qui l’a compris à qui l’a dédaigné.
Or par les temps qui courent, et pour notre malheur, tant le chef de l’Etat que son premier ministre manquent singulièrement à l’appel, ce dont d’ailleurs, le lecteur l’aura compris, nous nous plaignons plus qu’amèrement.
Le sens politique de Jean Castex mérite probablement aussi peu l’éloge que la critique : l’homme répète à l’envi en substance être là pour assumer sa mission, jouer son rôle de fusible du Président et sa carrière nationale essentiellement bureaucratique le met à l’abri du lien palpable, parfois quasi charnel qu’un dirigeant est censé nouer avec la Nation.
Alors quel sens politique reconnaitre à Emmanuel Macron ?
Certes pas celui de s’être glissé dans les pantoufles de son prédécesseur, où l’on verra plus d’habileté, ou de chance, que d’affection.
Certes non plus celui, sitôt élu, de favoriser la fiscalité des hauts revenus, signe de son sincère attachement à la haute économie plutôt que vision revisitée de la poule au pot.
Certes non plus encore celui de l’interminable époque des gilets jaunes, dont les cycles de conférences quotidiennes ont sur des semaines entières plus épuisé les maires de quartiers, que créé le lien et la proximité que réclamait à grand cri le peuple français.
Certes non plus enfin celui de la gestion du Covid, dont chaque jour les non-péripéties et l’absence de toute perspective épuisent une population au bout de sa résistance.
Alors d’où vient cette étonnante carence ? La réponse à la vérité n’est pas si complexe : le sens politique ne s’exprime qu’en deux occasions, celles du talent ou celle de l’empathie. Comptez nos hommes politiques de stature nationale, le sens politique s’accompagne toujours de l’un, de l’autre ou des deux.
Pour surmonter une crise de cette ampleur il nous fallait un guide qui vît plus loin que nous, un Père de la Nation qui avec chaleur aurait tout exploré pour nous sortir de l’ornière, au lieu que de jouer libero seul sur son terrain, pour ensuite nous reprocher au milieu d’un gué dont il ne cesse de creuser le fond, d’être 66 millions à la critique.
Au lieu de cela, notre Président a cru bien jouer en s’encombrant pour gérer le Covid, de scientifiques lourdauds, pontifiants, et disons-le, très largement à contre-emploi en une matière par essence nouvelle, notamment parce que d’emblée dépourvus d’inventivité et de largeur d’esprit dans la tempête.
Agrégat de crispations conjointes, d’entre-soi de bon aloi, d’autosatisfactions mutuelles et néanmoins cumulées, et de détestation de Didier Raoult, voilà donc l’aréopage dont nous a gratifié d’emblée notre Président.
Las ce conseil pour la guerre annoncée n’en est pas un.
Ce n’est pas faire injure à d’honnêtes marins d’eau douce que de remarquer qu’ils ne sont pas faits pour le gros temps. Mais enfin les faits sont là : il nous fallait Surcouf ou Duguay-Trouin, et nous avons le baron de l’Ecluse.
Pire, aujourd’hui ces « scientifiques » en panne définitive d’inspiration ne savent plus à quels confinements sans cesse appeler, ni quelle terreur sans cesse annoncer, quelle nouvelle vague prédire l’air sinistre …. Leurs échecs répétés, à vrai dire ininterrompus, depuis bien des mois mériteraient une bienséante, décente et salutaire démission en bloc.
Au lieu de cela, devenu repaire improbable de ternes objectifs , les voici intangibles ces conseils, opaques comme leur homologue dit « de défense sanitaire », tellement arrimés aux décisions non prises comme la moule à son rocher inerte, que même le chef de l’Etat, pourtant remarquablement inventif à ses heures, ne sait plus comment s’en débarrasser.
L’absence de sens politique entraîne une identique absence de vision : aucun des précités, politiques ou « scientifiques » ne se rend compte qu’aucune quelconque des mesures sociales ou autoritaires n’a eu le moindre effet et que toutes les mesures médicales en revanche négligées auraient pu en avoir au moins un.
En particulier des médecins sont là, volontaires désarmés, des traitements précoces existent, probablement imparfaits certes mais réels, ce que de surcroît tout un chacun en haut lieu ou en rez-de jardin n’ignore plus.
Mais personne dans les arcanes de ce qu’il faut bien appeler un pouvoir absolu, personne, du premier au dernier entêté, personne ne veut en entendre vraiment parler
Jusqu’au Premier Ministre, fusible ici malgré lui de l’ignorance médicale, qui déclara voici quelques mois en pleine assemblée, sur le ton sec et cassant, donc définitif de qui s’enferre : « Je ne vois pas de quoi vous voulez parler »
Moment de verdict intense, poignant, mais aussi vide, creux, désespéré, qui projette le refus du soin à la Nation malade.
La France chaque jour davantage s’enfonce dans la crise, médicale et sanitaire, puis sociale et économique, et aujourd’hui structurelle et psychologique.
Hors le « vaccin », point de salut ! Toujours la fuite, jusque dans le remède supposé : la fuite exclusive, la fuite pathétique. Du premier jour et pendant plus d’un an, nos dirigeants n’auraient donc rien appris, rien appris du tout sauf une attitude, seule, saisissante : la fuite toujours…
Fuir sans cesse, et de peur, mais fuir jusqu’où ?
Il faut tout l’aveuglement de dirigeants dépourvus de ce sens politique si essentiel pour ne pas voir qu’existe une psychologie collective dont le raz de marée misérable peut sans prévenir emporter bien au-delà de la pathétique comptabilité quotidienne.
Perseverare diabolicum : comment continuer à persister dans des errements si établis, comme si se drosser en chantant sur les récifs clairement aperçus rendait le mauvais chemin excusable.
Coulons le navire France de peur qu’on nous le reproche.
Avec de meilleurs acteurs, on se dirait dans une tragédie grecque.
Va Jean et coule ce navire funeste,
Que jamais Olivier, ni Agnès l’ancienne,
Sur le pont ne puissent raviver les restes,
D’une chute si prompte et si peu gaullienne.