Contre une « Europe technocratique, apatride et irresponsable »

Nous reproduisons ci-dessous l’éditorial aussi judicieux que bien tourné, signé de Madame Marie-Hélène MIAUTON, chroniqueuse auprès du journal Le Temps.

Plus que jamais en ce 18 juin la pensée visionnaire de Charles DE GAULLE semble d’actualité.

Et ce d’autant plus à l’heure où nos dirigeants n’ont de cesse de s’accaparer la mémoire du Grand Homme pour mieux la piétiner : honte à eux de ce qu’ils font, autant que de ce qu’ils sont.

« Tous gaullistes, vraiment?

Facile de se revendiquer gaulliste, cela vous pose dans le camp du bien. Pourtant, à y bien regarder, chacun choisit à la carte les attitudes du général qui lui conviennent et délaisse les autres, ce qui amuse notre chroniqueuse

Il est de bon ton, en France mais souvent aussi en Suisse romande, de se réclamer du gaullisme. Cette référence, un réflexe pavlovien, évoque un ensemble de vertus militaires et civiles, de grandeur et de volonté. Se prévaloir du grand homme permet de bénéficier d’une aura restée intacte malgré le temps qui passe. En effet, le général s’est retiré des affaires en 1969 avant de mourir d’une rupture d’anévrisme l’année suivante, à 80 ans. Jolie contradiction chez quelqu’un qui avait dit: «On ne devrait plus accepter de responsabilités suprêmes au-delà de 60 ans.» Sans doute se jugeait-il hors norme.

Pourtant, dans bien des domaines, Charles de Gaulle s’est inscrit à l’inverse des tendances politiques dominantes aujourd’hui. C’est pourquoi il faudrait demander à ceux qui s’en revendiquent s’ils se reconnaissent par exemple dans la conception gaullienne de la souveraineté nationale. Elle s’incarne selon lui dans une démocratie capable de s’opposer aux intrusions, aux ingérences et aux soumissions. Dans cet esprit, il a décidé de sortir du commandement intégré de l’OTAN en écrivant le 7 mars 1966 à Lyndon B. Johnson: «La France se propose de recouvrer sur son territoire l’entier exercice de sa souveraineté, actuellement entamé par la présence permanente d’éléments militaires alliés ou par l’utilisation qui est faite de son ciel.» Il refusait ainsi toute subordination et, du jour au lendemain, toutes les bases américaines sont devenues françaises. On imagine mal un tel courage aujourd’hui, particulièrement chez maints politiciens qui s’étiquettent gaullistes!

Et que dire de la position gaullienne sur l’Europe résumée dans cette citation de 1958: «Vous savez qu’à mon sens, on peut voir l’Europe et peut-être la faire de deux façons: l’intégration par le supranational, ou la coopération des Etats et des nations. C’est à la deuxième que j’adhère.» Or nombreux des thuriféraires de Charles de Gaulle ne jurent que sur une Union européenne toujours plus centralisatrice, celle-là même dont le général craignait l’avènement en disant qu’elle «serait régie par un aréopage technocratique, apatride et irresponsable». D’où la «politique de la chaise vide» en 1965, la France refusant alors de siéger au Conseil des ministres de la Communauté économique européenne, bloquant ainsi toute l’institution.

Dans un autre registre, que dire de la conviction du général concernant la Russie: «Pour la France et la Russie, être unies c’est être fortes, se trouver séparées c’est se trouver en danger. En vérité il y a là comme un impératif catégorique de la géographie, de l’expérience et du bon sens.» Cela ne signifiait pas pour autant une attitude de faiblesse vis-à-vis de l’URSS dictatoriale. Pas de récupération politique, donc en lien avec la situation actuelle, mais la conviction profonde que l’Europe va jusqu’à l’Oural.

Et, pour finir, comment passer sous silence la lucidité gaullienne vis-à-vis de l’immigration? Ses propos rapportés par Alain Peyrefitte en 1969 sont clairs: «C’est très bien qu’il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu’elle a une vocation universelle. Mais à condition qu’ils restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France.»

Dès lors, avant de s’affirmer gaulliste, chacun devrait savoir s’il s’assume souverainiste, non atlantiste, méfiant envers l’OTAN, opposé à l’ONU (joyeusement traité de «machin»), s’il refuse les diktats bruxellois, s’il estime que l’Europe ne peut se passer de l’Est et qu’elle doit strictement contenir l’immigration.

Rude examen de conscience ! »

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