La réponse vigoureuse des médecins de l’A.P.H.P. à Martin Hirsch

On connait Martin Hirsch, sa très haute idée de lui-même et sa volonté donc d’autant plus arrêtée de continuer (après huit ans d’échecs !) à gérer l’APHP envers et contre les médecins eux-mêmes !

Et le cador de la gestion à la baguette ne manquant décidément pas d’air, le voici qui présente sans rire son programme pour remédier à ses propres errements, non sans en avoir au préalable accusé autrui !

C’en est trop pour un collectif de (vrais) médecins qui, via Les Échos, lui répond vertement ….

« Opinion | AP-HP : le bilan désastreux de Martin Hirsch »

« Non sans cynisme, l’actuel directeur général du CHU francilien avance des propositions pour réformer l’hôpital public . Passons sur ces dernières, qui servent principalement à faire endosser aux autres, en particulier aux médecins, dont il dresse un portrait caricatural, ses propres responsabilités dans les résultats catastrophiques du groupe hospitalier. Examinons plutôt le bilan de Martin Hirsch après plus de huit ans de mandat à la tête de l’AP-HP.

La situation budgétaire de l’institution s’est fortement dégradée. En 2021, le déficit sera de 290 millions d’euros, pour un budget de 7,8 milliards d’euros. L’endettement a augmenté de 47 %, passant de 2,1 milliards d’euros en 2014 à 3,1 milliards d’euros en 2021. La capacité nette d’autofinancement se réduit comme peau de chagrin, rendue positive uniquement par les cessions immobilières. Cela ne permet pas de financer les investissements nécessaires pour lutter contre la vétusté ou se doter des équipements innovants, sauf à recourir massivement à l’emprunt.

Attractivité de l’AP-HP dégradée

Les grands projets prennent beaucoup de retard. Le nouvel Hôtel-Dieu, annoncé pour 2020, sera inauguré au mieux en 2026, s’il est inauguré un jour. L’Hôpital Nord, regroupant Bichat et Beaujon, qui devait ouvrir en 2025, est repoussé de plusieurs années. Ce projet est par ailleurs critiqué pour sa réduction importante de lits dans un territoire marqué par la précarité et la densité de sa population.

L’attractivité de l’AP-HP s’est fortement dégradée. Les futurs spécialistes choisissent de moins en moins souvent Paris en priorité pour leur formation d’internes. Les départs, y compris de chefs de service hospitalo-universitaires, se multiplient. Les postes vacants de personnels infirmiers n’ont jamais été aussi nombreux (1400 en ce début mai 2022), tout comme le nombre de lits fermés (entre 10 et 20 %), et le nombre de blocs opératoires à l’arrêt (30 %). Cela se traduit par des pertes de chance pour les patients, possiblement vitales, et une dégradation des soins de plus en plus inacceptable.

Un plan pour des économies d’échelle

Les suppressions d’emploi et l’accent mis sur la polyvalence des agents, sans garantie que les effectifs au lit du malade soient suffisants, entraînent une charge de travail épuisante et expliquent la vague très élevée de départs. La réforme du temps de travail de 2016 est un échec et n’a fait qu’inciter davantage d’agents à quitter l’AP-HP. La pénurie en personnel menace de fermeture plusieurs services, comme l’hématologie à Saint-Louis ou il y a quelques mois la neurologie à Bicêtre.

À la suite d’un déficit important en 2018, pour éviter un plan de retour à l’équilibre, Martin Hirsch a mis en place la « Nouvelle AP-HP » à base de regroupements en structures plus grandes, comme cela se fait dans tous les secteurs pour générer des économies d’échelle, au lieu d’écouter les multiples alertes que nous lui avons adressées et de s’appuyer sur les entités solides qui structurent la vie de l’institution : les services, les hôpitaux et les universités. Les douze groupes hospitaliers ont été réduits à six (il était même question qu’il n’y en ait que quatre), les 130 pôles à 80 départements médico-universitaires.

Le sentiment d’être des pions

Comme nous l’avions prévu, cette réforme n’a pas eu les effets escomptés au plan budgétaire, au contraire. Elle a surtout épaissi le millefeuille administratif, déjà très pesant, et a éloigné les décideurs du terrain, alors que les spécialistes de l’organisation et du management hospitaliers préconisent l’inverse. Les personnels de ces ensembles étalés parfois sur des hôpitaux distants les uns des autres ont le sentiment d’être utilisés comme des pions et affectés tantôt à tel service, tantôt à tel autre, sans respect de leurs compétences, ni de leur attachement à l’équipe dans laquelle ils ont l’habitude de travailler. Cette réforme est un échec de plus. Une enquête récente a montré un rejet très majoritaire des départements médico-universitaires par les médecins de l’AP-HP.

La recherche est entravée en raison de la complexité des processus bureaucratiques pour disposer des financements alloués par les tutelles, et les ressources qui en sont tirées se diluent dans la masse budgétaire commune.

Lourdeurs administratives

En raison de l’approche technocratique de la gestion des ressources humaines, les collectifs de travail ont été détruits. La solidarité au sein des équipes se défait et l’expertise des soignants les plus spécialisés tend à disparaître. Le temps auprès des patients est grignoté par des tâches administratives et de reporting inutiles et dégradantes. La réunionite est encore plus intense qu’avant. Les lourdeurs administratives se sont accrues et les processus de décision sont toujours plus opaques et désorganisés.

Aucune réflexion d’envergure n’a été menée sur l’organisation du travail au sein des équipes de soins, encore soumises à un management autoritaire. Nous sommes loin de la transformation des établissements de l’AP-HP en hôpitaux magnétiques, qui paraît la seule issue possible à la crise actuelle, évolution à laquelle l’actuel directeur général a tourné le dos.

Brutalité envers les personnels

La maltraitance ruisselle du sommet au bas de l’échelle (Monsieur Hirsch ne passe pas pour un tendre). Les harceleurs sont rarement sanctionnés, quand ils ne sont pas protégés. L’AP-HP a ainsi été mise en examen pour harcèlement moral après le suicide du Pr Jean-Louis Mégnien en 2015. La brutalité à l’égard des personnels est si répandue que certains considèrent que nous ne serions pas loin du harcèlement moral institutionnel pour lequel France Télécom a été condamnée.

Bien sûr, celui qui est à la tête du CHU francilien n’est pas l’unique responsable de ce délitement, constaté dans de nombreux endroits en France ou à l’étranger. Il a toujours accompagné les directives ministérielles, et il n’est pour rien dans la cherté de la vie en Ile-De-France, pour rien dans le sous-financement chronique de l’hôpital public, pour rien dans la pénurie médicale, pour ne citer que ces trois causes évidentes. Néanmoins, plutôt que de faire des propositions indécentes et opportunistes, Martin Hirsch doit assumer son bilan, car il a eu le temps d’imprimer sa marque sur l’ensemble hospitalier qu’il dirige. Il ne l’a rendu ni plus agile, ni plus attractif. Plutôt que de le diriger, il l’a abîmé. »

Signataires :

Mmes et MM. les Drs et Prs :

Oanez Ackermann, pédiatrie, Bicêtre

Bertrand Arnulf, hématologie, Saint-Louis

Cherine Benzouid, pédiatrie, Robert Debré

Nicolas Boissel, hématologie, Saint Louis

Marie-Christophe Boissier, rhumatologie, Avicenne

Loïc Capron, ancien président de la Commission médicale d’établissement (CME) de l’AP-HP

Pierre Cattan, chirurgie viscérale, Saint-Louis

Sylvie Chevret, biostatistique et information médicale, Saint-Louis

Sophie Crozier, neurologie, Pitié Salpêtrière

Stéphane Dauger, réanimation pédiatrique, Robert Debré

Isabelle Desguerre, pédiatrie, Necker-Enfants malades

Didier Dreyfus, ancien chef de service de médecine intensive et réanimation à Louis Mourier 

Jean-Luc Dubois-Randé, cardiologie, Henri Mondor 

Alain Faye, chirurgie viscérale, Georges Pompidou, ancien président de l’intersyndicat de l’AP-HP

Claire Fieschi, hématologie, Saint-Louis

Bertrand Galichon, ancien urgentiste à Lariboisière, médiateur au Samu social de Paris

Lionel Galicier, médecine interne, Saint-Louis

Anne Gervais, hépatologie, Louis Mourier, ancienne vice-présidente de la CME

Bernard Golse, ancien chef de service de pédopsychiatrie à Necker Enfants-malades

Bernard Granger, psychiatrie, Cochin, membre de la CME et du Conseil de surveillance de l’AP-HP

Raphaël Itzykson, hématologie, Saint-Louis

Jean-Jacques Kiladjian, hématologie, Saint-Louis

Véronique Leblond, ancienne cheffe de service d’hématologie à la Pitié-Salpêtrière

Etienne Lengliné, hématologie, Saint-Louis

Philippe Lévy, gastro-entérologie, Beaujon

Marion Malphettes, immunopathologie clinique, Saint-Louis

Rafik Masmoudi, urgentiste, Georges Pompidou, vice-président de la CME locale Paris Centre

Isabelle Melki, pédiatrie, Robert Debré

Olivier Milleron, cardiologie, Bichat

Marie-Noëlle Peraldi, néphrologie, Necker Enfants-malades

Régis Peffault de Latour, hématologie, Saint-LouisMichaël Peyromaure, urologie, Cochin

Stanislas Pol, hépatologie, Cochin

Emmanuel Raffoux, hématologie, Saint-Louis

François Salachas, neurologie, Pitié-Salpêtrière

Georges Sebbane, gériatrie,

René Muret, ancien vice-président de la CME

Gérard Socié, hématologie, Saint-Louis

Pierre Taboulet, ancien chef de service des urgences de Saint-Louis 

Nicolas Thiounn, urologie, Georges Pompidou