Imbécilhommnambule ! (En Marche …)

A de réitérées reprises notre modeste rédaction a dit son inquiétude devant l’inconséquence grossière de nos dirigeants, devant la parano-attitude (ou paranoïtude aurait dit l’autre timbrée) qui conduit à faire rigoureusement n’importe quoi.

N’importe quoi ? Oui mais toujours très vite, et toujours selon une sorte de réflexe méga-compulsif dont notre Cador des Déambulateurs se montre d’autant plus friand qu’il n’a rien à dire.

Hélas, de même que la force centrifuge ramène rarement vers l’origine des problèmes, la vitesse acquise à force de tourner sur soi-même ne comble pas le vide conceptuel abyssal : n’est pas centripète qui pète.

Le Covid (et son empêtrement vaccinal), la guerre d’Ukraine, ou encore la voiture électrique obligatoire (sans même parler du prurit anti-CO2) ne sont que des illustrations de la folie pure : faire n’importe quoi, oui mais très vite.

Et voici que le grand Edgar Morin, en quelques mots nous en dit plus encore : il faut lire son interview par Le Temps.

Texte ci-dessous et lien reproduits. Merci !

« Nous marchons vers de possibles catastrophes dans un état de rêve éveillé »

Par Edgar Morin

«Réveillons-nous!» Voilà, en deux mots cinglants, ce à quoi nous exhorte Edgar Morin, 102 ans, qui entend bien nous interpeller jusqu’au dernier moment. Sociologue et philosophe, auteur d’une ambitieuse Introduction à la pensée complexe, docteur honoris causa de 38 universités à travers le monde, directeur de recherche émérite au CNRS, ce Parisien d’origine est l’un des penseurs majeurs de notre temps. L’un des plus originaux aussi.

Les leçons, il les tire «d’une expérience séculaire et séculière de vie», sans jamais adopter la suffisance de celui qui en donne. «Je souhaite qu’elles soient utiles à chacun, non seulement pour s’interroger sur sa vie, mais aussi pour trouver sa propre voie», écrit-il dans Leçons d’un siècle de vie.

Dans ses derniers livres, au ton et au fond plus incisifs, il appelle à «civiliser la Terre» et «à transformer l’espèce humaine en humanité». C’est pour lui «l’objectif fondamental de toute politique aspirant non seulement à un progrès, mais à la survie de l’humanité.» Nous l’avons rencontré à Paris.

Le Temps: Vous évoquez, en exergue de votre dernier livre, «Réveillons-nous!», un «somnambulisme généralisé». Que voulez-vous dire?

Edgar Morin: Je me réfère d’abord, à travers ce mot, à mon expérience des années 1930 à 1940. Des années marquées par la montée des périls, avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la guerre d’Espagne, Munich et l’annexion de la Tchécoslovaquie. Ce processus nous a conduits à la guerre. Très peu de gens, à l’époque, étaient conscients de cette marche implacable vers une déflagration mondiale. Ce mot de «somnambulisme» – qui évoque des déambulations, en état d’inconscience, pendant le sommeil – me semble approprié pour décrire notre époque. Ces dernières décennies, la marche du monde est devenue de plus en plus inquiétante. Les crises multiformes que nous traversons ne sont pas suffisamment rentrées dans la conscience de nos dirigeants, ni des citoyens, mis à part une petite minorité. Nous marchons vers de possibles catastrophes dans un état de rêve éveillé.

La guerre en Ukraine, la pandémie, les conséquences du changement climatique… Les crises multiformes que nous traversons ont-elles favorisé des prises de conscience et des passages à l’action?

Les crises peuvent favoriser des prises de conscience. Elles permettent parfois, aussi, à condition de puiser dans son imagination créatrice, de trouver des solutions aux problèmes de nos sociétés. Mais elles suscitent également des angoisses telles qu’elles risquent de réveiller le désir de revenir à un passé révolu, et de s’abandonner à des peurs irraisonnées. En fait, les crises sont plus souvent régressives que progressives. L’ampleur de la crise écologique, révélée en 1972 par le rapport Meadows, a suscité très peu de prises de conscience. Elle a donné naissance à des ébauches de solutions, et aussi à de fortes dénégations. Nous ne prenons pas assez conscience du fait que les crises que nous traversons menacent la planète tout entière, si nous n’adoptons pas, de manière urgente, les réformes nécessaires.

En va-t-il de même de l’Ukraine?

Absolument. Peu de gens s’attachent à comprendre son contexte historique. On ne nous donne à voir, trop souvent, qu’un conflit manichéen. Il est évident que la Russie de Poutine est l’agresseur. Mais prenons, par exemple, le cas du Donbass. Cette région économique et culturelle importante a été industrialisée et russifiée par la Russie tsariste, puis par la Russie soviétique. Le peuple russifié, qui y vit, a besoin de disposer d’un statut particulier qui ne se limite pas à une intégration pure et simple au sein de l’Ukraine, avec le risque d’être asservi ou détruit. Le plus souvent, quand un problème complexe se manifeste, nous faisons comme si celui-ci n’existait pas. Autre exemple: la Crimée. Acquise par Catherine II aux Turcs, cette péninsule était peuplée, en 2014, par 1,4 million de Russes, 400 000 Ukrainiens et 300 000 Tatars. On se trouve confronté à un véritable problème démographique. Il ne suffit pas de se référer aux traités internationaux. Que fait-on du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes? La guerre en Ukraine réveille une histoire complexe qui ne se résume pas à un acte d’agression et à une résistance courageuse d’un peuple contre l’agresseur. On ne peut pas se cantonner au point de vue unilatéral matraqué par les informations, qui angélisent l’Ukraine, tout en montrant que la répression poutinienne s’aggrave de mois en mois. J’ai écrit un livre qui s’intitule De guerre en guerre. De 1940 à l’Ukraine (L’Aube, 2023) dans lequel je témoigne de l’expérience que j’ai de plusieurs guerres: la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie et celle de l’ex-Yougoslavie. Même dans le camp de ce que l’on appelle le «bien», il y a eu des excès et des crimes. La guerre charrie un flot d’illusions, de mensonges, de mystifications et d’informations unilatérales, dont il faut être conscients.

Vous évoquez dans votre dernier livre le transhumanisme, que vous qualifiez de «société machine». Que voulez-vous dire par là?

Le transhumanisme est une sorte de rêve de futur, souhaité par quelques-uns, fondé sur les développements de la science et de l’économie. Ils rêvent d’un futur qui leur permettra, peut-être, un jour, d’augmenter la durée de la vie humaine, grâce au développement des cellules souches et à une meilleure utilisation de l’intelligence artificielle. Une fraction appartenant à une élite de l’humanité se trouverait, ainsi, délivrée de la mort, du souci de l’organisation, libre de se lancer dans l’aventure de la conquête d’autres planètes. Je suis convaincu que le transhumanisme est un mythe. Ses zélateurs pensent pouvoir s’appuyer sur la science, les techniques et l’économie pour régler tous les problèmes. Alors que c’est avant tout d’une solidarité humaine et d’un sentiment de communauté de destin que nous manquons cruellement aujourd’hui.

C’est cette unité dans la diversité humaine, ce sentiment de participer à une magnifique aventure collective, celle de l’humanité, que nous devons développer et déployer.

«Quand un système est incapable de traiter ses problèmes vitaux, il se dégrade, se désintègre, ou alors il est capable de susciter un méta-système à même de traiter ses problèmes, et il se métamorphose», écrivez-vous. Qu’est-ce que la métamorphose? Croyez-vous encore, aujourd’hui, qu’une métamorphose soit possible?

Cette notion de métamorphose doit être vue dans sa globalité. Les premières sociétés humaines étaient des sociétés de chasseurs-cueilleurs, sans Etat, sans territoire. Puis, il y a eu des sociétés agraires, et ensuite des sociétés avec Etat. Aux sociétés antiques ont succédé les sociétés modernes. Ce sont autant de métamorphoses historiques. Nous vivons, aujourd’hui, une grande métamorphose. Je souhaiterais que cette métamorphose nous permette de faire advenir une société plus solidaire, plus équitable et plus consciente. Nous ne pourrons pas supprimer les nations. Il va nous falloir les intégrer dans un patriotisme plus vaste et plus profond que j’ai appelé la «Terre-Patrie». La prise de conscience de la communauté de destin terrestre doit être l’événement clé de ce début de millénaire. Nous sommes tous des humains. Des humains à la fois semblables et dissemblables. Nos cultures sont différentes. Mais nous avons de multiples langages communs: la musique, la littérature, les techniques… C’est cette unité dans la diversité humaine, ce sentiment de participer à une magnifique aventure collective, celle de l’humanité, que nous devons développer et déployer. C’est ce qui nous manque, aujourd’hui. Si ces éléments étaient réunis, nous connaîtrions une métamorphose historique.

Vous nous appelez, dans un de vos livres récents, à changer de voie pour sauver l’humanité. Quels sont les principaux obstacles à ce changement de voie?

Le principal obstacle est le vide de pensée qui nous empêche d’imaginer, de concevoir un monde et une histoire pour le temps présent. Il faudrait presque reprendre le problème à zéro. C’est ce que j’ai essayé de faire dans différents ouvrages comme La voie. Pour l’avenir de l’humanité (Fayard 2011). Autre obstacle majeur: les intérêts économiques puissants qui dominent et contrôlent les sociétés et empêchent tout véritable changement de voie. Dans le domaine agricole, notamment. En France, par exemple, la puissance du syndicat dominant (la FNSEA) empêche le plein développement de l’agriculture biologique et de l’agroécologie. Encore un frein de taille: la bureaucratisation de l’Etat. Les institutions publiques, qui devraient communiquer entre elles, sont compartimentées. L’Etat bureaucratique est, en outre, parasité à ses sommets par de très puissants lobbies économiques. C’est le cas, en France notamment, où le Ministère de la santé a été entièrement paralysé par le lobby des industries pharmaceutiques.

Vous dites dans un de vos livres qu’il nous faudrait à la fois mondialiser et démondialiser. Qu’entendez-vous par là?

Il faut démondialiser ce qui ne repose que sur des intérêts économiques. Et mondialiser, au contraire, la culture, les arts, les sciences, les connaissances et la fraternité.

Une approche plus poétique du monde semble, à vos yeux, déterminante pour cheminer vers la métamorphose?

Nous sommes voués à l’alternance poésie-prose. La poésie, ce n’est pas seulement des vers. La poésie de la vie, c’est tout ce qui nous exalte, tout ce qui nous fait communier, tout ce qui nous fait aimer. Par opposition à la prose, aux choses qui nous ennuient, qui sont obligatoires, et nous permettent de survivre. Vivre, c’est vivre poétiquement, non survivre. Il est de plus en plus important de permettre aux hommes d’exprimer leurs virtualités poétiques. La poésie n’est pas un luxe.

Votre dernier livre a pour titre «Réveillons-nous!». Qu’est ce qui, aujourd’hui, pourrait nous aider à nous réveiller?

Je pense qu’il faudrait quelques électrochocs. Comme disait Hölderlin: «Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve.»

https://www.letemps.ch/societe/edgar-morin-nous-marchons-vers-de-possibles-catastrophes-dans-un-etat-de-reve-eveille