Don Parano en Capilotade

Aujourd’hui 21 janvier, le petit village de Brescello sort à peine des brumes du Pô, et c’est peu dire que la campagne est encore engourdie. Même la petite église où Don Parano rencontre le Seigneur semble bien froide.

Et pourtant le voici qui y rentre : d’un pas empressé, claquant presque la porte : Pardon Seigneur, mais c’est qu’il fallait que je vous parle …

– Et alors Don Parano que me vaut ta visite de si bon matin ?

– C’est que Seigneur, il m’est arrivé hier, comment vous dire, j’en suis encore tout retourné

– Parle, Don Parano, parle …

– C’est que hier soir Seigneur j’avais réuni les paroissiens de mon pauvre village pour des vêpres inhabituelles, pour leur parler de l’allègement des mesures qui pèsent sur eux, les pauvres gens

– Je sais, Don Parano, j’y étais.

– Vous y étiez Seigneur ?

– Tu sais bien que je suis toujours là, Don Parano. J’ai tout entendu. Entre nous tu n’étais pas très clair.

– C’est justement ça mon tourment, Seigneur. Ce matin les villageois m’évitent. Pas moyen de leur parler.

– C’est qu’il fait froid, Don Parano, il fait froid ce matin. As-tu vu la gelée sur le bord du fleuve ?

– Je sais bien Seigneur, mais tout de même, pas un mot …

– C’est que peut-être tu en as trop dit hier, des mots …

– Et qu’y pouvais-je Seigneur, il me fallait bien leur annoncer la levée des restrictions

– Oui Don Parano, mais ta langue a du fourcher puisque tu leur a annoncé le pass vaccinal pour lundi. Tu appelles ça un allègement, Don Parano ?

– Et alors Seigneur, je voudrais bien vous y voir : moi-même je n’y comprends rien.

– Je sais que c’est difficile pour toi Don Parano, mais il ne t’est pas interdit de réfléchir. Ton pass vaccinal, ce n’est pas un allègement. C’est une aggravation.

– Et oui, je sais bien Seigneur. Tout est de ma faute. Et pourtant je leur ai aussi annoncé la fin du masque en extérieur. Seigneur, vous n’allez pas me dire que vous l’entendez comme une aggravation.

– Don Parano, es-tu bien sérieux ? Tu sais bien que le masque en extérieur n’a aucun sens. Comment veux-tu que l’arrêt d’une mesure qui n’a aucun sens soit bien ressenti ?

– Et oui, je sais Seigneur …

– Et la possibilité de boire un verre de Lambrusco debout au café du village, comment le veux-tu Don Parano ?

– Là Seigneur je ne comprends plus

– C’est parce que tu ne réfléchis pas assez Don Parano. Tu sais bien qu’ici le Lambrusco on le boit assis. Et que ton pass vaccinal ne va rien y changer, sauf pour ceux auxquels tu ne le donnes pas. D’ailleurs Don Parano, tu as l’intention de le laisser encore longtemps ton pass vaccinal ?

– C’est que Seigneur, le vicaire l’a dit, juste ce qu’il faudra, tant que le dispensaire est plein

– Tu te moques de moi Don Parano …

– Ca, me moquer de vous Seigneur, jamais …

– Et pourtant Don Parano, tu sais bien que le dispensaire est toujours plein. Depuis que tu as fermé la moitié des lits. Alors ton pass vaccinal, tu vas le laisser pour toujours ?

– Oh non Seigneur, d’ailleurs il ne sera en vigueur que lundi.

– Tu recommences à te moquer, Don Parano, son entrée en vigueur à lundi c’est parce que tu attends l’absolution de ton confesseur.

– Oui Seigneur, oui mais le confesseur, comment vous dire, j’en fais mon affaire.

– Ah bon Don Parano, et tes villageois le savent ?

– Non, Seigneur, non. Mais ils devraient s’en douter depuis le temps …

– Pas sûr, Don Parano, pas sûr. C’est comme ce vicaire qui t’a été attaché, qui n’est pas très croyant mais qui traine partout avec toi. Tu comptes en faire quelque chose ?

– Oh non Seigneur, mais c’est l’évêque qui me l’a envoyé. Je ne peux pas m’en défaire

– L’évêque, et lequel Don Parano ? celui qui guide aussi ton confesseur ?

– Oui seigneur, je sais

– Et qui est cet évêque qui te fait dire et faire autant de bêtises ?

– Vous le savez bien Seigneur, vous qui savez tout …

– Oui Don Parano je le sais, mais je veux l’entendre de ta bouche

– C’est, comment dire Seigneur, je ne voudrais pas d’ennui

– Des ennuis, des ennuis pour m’avoir parlé Don Parano ?

– Je sais Seigneur, je suis un misérable.

– Aujourd’hui peut-être Don Parano, pour la première fois peut-être, Don Parano, mais c’est moi qui décide de ces choses là. Alors ce nom ? Quel est ce Monsignore qui t’impose de pareilles sottises, à t’entendre, on dirait qu’il se prend pour moi ?

– Vous le savez Seigneur, c’est Monseigneur Marron …

– Tout juste Don Parano  tout juste, alors tu vas porter un message à ton évêque Marron

– Oui seigneur

– Tu vas lui dire qu’il libère tes villageois parce qu’ils ne peuvent plus supporter ce que tu leur fais, et tu lui diras aussi que Dieu ici, c’est moi, pas lui. Qu’il redescende sur terre. Ça lui fera le plus grand bien de poser un peu ses dorures.

– Oui Seigneur, comptez sur moi, et vous pensez que les villageois me reviendront ?

– On verra Don Parano, on verra, l’avenir je l’écris, mais il te faut de la patience si tu veux que je l’écrive correctement.

– oui, Seigneur, merci Seigneur

– Don Parano, encore un mot …

 -Oui Seigneur …

– Le dispensaire, tu dois y remettre les lits que tu as enlevés. Il faut de la place pour soigner tes villageois.

– Oui Seigneur, ce sera fait, merci Seigneur